Les cinq leçons d’une militante par accident

Quand Korka Diaw a commencé à cultiver du riz, elle n’aurait jamais pensé devenir un porte-voix pour les agricultrices du Sénégal. Trente ans plus tard, elle est à la tête d’une organisation qui compte 16 000 adhérentes et participe à des débats au niveau national sur l’autonomisation économique des femmes. Voici ce qu’elle a appris au fil de ces années.

En 1991, quand Korka Diaw a entendu dire pour la première fois qu’une femme pouvait gagner sa vie dans la riziculture, elle a immédiatement su que c’était sa voie.

Mais elle ignorait alors ce qui l’attendait.

À savoir que, sans garantie, espérer obtenir un prêt bancaire pour acheter des semences et des engrais prêtait à rire ; quant à acquérir des terres quand on est une femme dans le Sénégal rural, cela frôlait les limites de l’imaginable. Finalement, les autorités locales lui ont attribué une petite parcelle, certes pas de la meilleure qualité, mais suffisante pour se lancer. Après avoir construit un système d’irrigation au goutte-à-goutte et récolté ses premiers grains de riz, elle s’est mise à partager son savoir sur les techniques agricoles, l’accès au financement et l’élaboration d’un plan d’affaires.

L’appétit de connaissances chez ses consœurs était tel que Korka Diaw n’a pas tardé à lancer le Réseau des femmes agricultrices du Nord du Sénégal (REFAN), qui compte aujourd’hui 16 000 adhérentes. Une initiative qui a eu une influence considérable, selon Olivier Buyoya, directeur régional d’IFC pour l’Afrique de l’Ouest :

« Le modèle opérationnel du REFAN crée des emplois et fournit à ses membres des possibilités de formation et d’éducation essentielles, avec à la clé une autonomie financière. »

Grâce au Groupe Baobab, une organisation cliente d’IFC qui offre des services d’inclusion financière dans toute l’Afrique de l’Ouest, les membres du REFAN peuvent avoir accès au crédit. L’objectif, selon M. Buyoya, est de « soutenir davantage d’agricultrices, en leur permettant de réussir malgré les adversités auxquelles elles sont confrontées ».

Korka Diaw n’avait pas pour ambition de devenir une figure de proue dans son pays. « Je ne voulais pas que d’autres passent par ce que j’ai vécu », confie-t-elle. C’est ce qui l’a poussée à prendre les devants et relever le défi. Aujourd’hui, voici les cinq leçons qu’elle tire de son expérience au service de la cause des femmes agricultrices.

1- Soyez flexible

Korka Diaw n’a pas toujours été rizicultrice. Commerçante à l’origine, elle a perçu l’intérêt de se lancer dans le riz : « Je fais partie d’une famille nombreuse, et si on veut nourrir sa famille, il n’y a pas d’autre choix que de le faire soi-même ». L’entrepreneuse a dû surmonter de nombreux obstacles, mais elle est parvenue à agrandir ses exploitations et à construire des installations de transformation. Aujourd’hui, elle emploie 40 personnes dans tout le Sénégal. Korka Diaw dit combien le travail agricole est éprouvant, en particulier sous des températures élevées et avec des précipitations devenues plus irrégulières sous l’effet du changement climatique. « Nous plantons maintenant dans la “contre-saison“, en plus des périodes habituelles, bien que celles-ci soient de plus en plus précoces », explique-t-elle. « Nous sommes très attentives à notre environnement afin d’adapter nos techniques. »

2- Favorisez l’inclusion

Les agricultrices sénégalaises étant habituellement laissées-pour-compte et sous-financées, il est indispensable qu’elles s’entraident et partagent leurs connaissances. C’est ce constat qui a conduit Korka Diaw à fonder le REFAN, un réseau national qui aide les agricultrices à accéder à des financements, les forme à des techniques d’adaptation au changement climatique et négocie de meilleurs tarifs pour l’achat de semences et d’engrais de qualité. Le REFAN a été conçu comme une ressource destinée aux rizicultrices du nord du Sénégal. Puis le changement climatique est venu perturber le secteur de la pêche, conduisant un grand nombre de personnes au chômage, avec parfois pour seule perspective celle d’émigrer. Korka Diaw a vu dans l’agriculture un moyen de les aider à gagner leur vie et à rester au pays. L’adhésion au REFAN a été ouverte aux femmes pêcheurs et aux commerçantes, qui constituent désormais 30 % de ses membres.

3- Elaborez une vision

« Pour assurer un développement durable, il faut impliquer les jeunes », affirme Korka Diaw. Ainsi, la feuille de route du REFAN consiste notamment à former 400 jeunes femmes à l’agriculture. La formation porte sur des méthodes agricoles comme la gestion du bétail et l’élevage, mais aussi sur les activités de plaidoyer, le leadership, la bonne gouvernance et la planification des activités. Le REFAN s’efforce ensuite de faciliter leur accès à la terre (obstacle chronique pour les Sénégalaises) afin qu’elles puissent créer des entreprises avec les biens qu’elles acquièrent. Korka Diaw s’attache aussi à nouer des partenariats avec des organisations nationales et internationales pour aider le REFAN à atteindre ses objectifs.

4- Demeurez attentif

L’année dernière, alors que le réseau a atteint les 16 000 membres, avec une montée en flèche de la demande de formations, sa fondatrice a réalisé qu’elle ne connaissait pas personnellement un grand nombre de ces femmes. Dans les premières années de l’initiative, au contraire, le REFAN et ses antennes locales étaient en mesure d’adapter étroitement leurs services aux besoins des adhérentes. Pour remédier à cette situation, Korka Diaw et les présidentes des bureaux départementaux ont décidé de geler les processus d’adhésion. Une pause qui a permis au conseil d’administration et aux présidentes locales de recenser les besoins des agricultrices, d’évaluer l’efficacité de l’offre du REFAN et de se doter d’une feuille de route pour l’avenir. Un an plus tard, les adhésions ont repris, mais avec une nouvelle base de données permettant de suivre et répondre aux besoins des membres.

5- Cultivez l’endurance

De l’avis de Korka Diaw, la vie d’une agricultrice au Sénégal n’est guère facile. Il y a d’abord les difficultés logistiques : « Je devais me déplacer en charrette, puis trouver quelqu’un pour me conduire en voiture, et prendre une autre charrette pour me rendre sur mon exploitation. Et ensuite, faire le chemin inverse pour rentrer chez moi, où je devais cuisiner, faire le ménage et prendre soin de mon foyer. C’était très dur. » À cela s’ajoutent d’autres obstacles liés à la place des femmes dans la culture sénégalaise et aux barrières structurelles qui entravent l’accès à la terre et au financement. « À mes débuts, [en 1991], les femmes ne travaillaient pas dans l’agriculture. J’ai fait la demande d’une allocation foncière auprès de l’État, mais les autorités étaient réticentes à donner de bonnes terres à une femme car elles pensaient que j’allais échouer. » Mais Korka Diaw a persévéré : « J’avais une qualité ignorée de tous : la ténacité. J’aime ce que je fais. C’est la clé de mon autonomie économique, c’est une source de revenus. Tout ce que je suis aujourd’hui, je le dois à la riziculture. »

IFC

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