Les pièges de la digitalisation des IMF : partir d’une mauvaise analyse de rentabilisation

La pandémie de COVID-19 nous a rappelé une vérité que nous connaissions depuis longtemps : les institutions de microfinance (IMF) doivent se digitaliser pour relever les défis actuels et répondre aux besoins d’une clientèle moderne. Mais il ne suffit pas pour cela de greffer la technologie sur les processus et les produits existants et de déclarer « mission accomplie ». La transition numérique, ou digitalisation, peut être une entreprise risquée, qui peut coûter beaucoup de temps et de ressources aux IMF sans apporter la valeur qu’elles avaient imaginée pour les clients ou l’entreprise.

Selon McKinsey, dans 50 % des cas, les entreprises ne parviennent pas à atteindre les objectifs de rentabilité associés à leur transformation digitale. Nos échanges avec les parties prenantes du secteur de la microfinance montrent que la plupart des IMF sont déjà convaincues que la transformation digitale doit être une priorité pour elles. Mais ce qui leur manque, ce sont des conseils pour la mener à bien correctement. Pour les aider dans cette tâche, le CGAP travaille sur un programme de transformation digitale des IMF qui prévoit entre autres de documenter les expériences des IMF qui ont réussi dans cette entreprise. Ce programme cherche en particulier à aider les IMF à éviter les pièges de la digitalisation. C’est pourquoi le CGAP initie une série d’articles de blog qui a pour but d’identifier certaines des erreurs courantes qui peuvent mettre les IMF en difficulté. Dans le premier article de cette nouvelle série, nous explorerons l’un des écueils les plus courants : partir d’une analyse de rentabilisation faible ou mal conçue.

Les IMF ont recours à la technologie numérique, sous une forme ou une autre, depuis plus d’une décennie – à des degrés divers allant de la modernisation de certains processus, produits ou canaux à la transformation complète des opérations de l’IMF. Les raisons qui motivent le choix d’une transition totale ou partielle vers un modèle numérique varient selon les institutions, tout comme les résultats. La transformation numérique a plus de chances de réussir lorsqu’elle est conçue pour répondre à des objectifs clairement définis et mesurables en termes d’amélioration de la valeur pour le client et pour l’entreprise. Or, nos échanges avec les IMF au fil des années nous ont révélé que peu d’institutions ont été en mesure de formuler ou de démontrer une valeur ajoutée claire pour les clients et l’entreprise.

Les raisons qui motivent la transformation digitale diffèrent d’une institution à l’autre, en fonction des circonstances et des défis qui leur sont propres. Mais tout effort de digitalisation doit reposer sur une formulation claire de l’objectif recherché – quelle amélioration le changement apportera-t-il ? – et des moyens de mesurer cet objectif. Par exemple, nous savons que la digitalisation offre des avantages financiers directs, notamment une réduction des coûts de service (jusqu’à 80 %) et une baisse significative du ratio charges/revenus (jusqu’à 18 %). Les IMF qui veulent s’engager dans cette transition doivent commencer par identifier clairement leurs motivations et donner la priorité à celles qui présentent l’analyse de rentabilisation la plus convaincante. Voici six bonnes raisons pour une IMF de s’engager dans un processus de digitalisation, basées sur les bénéfices réels que d’autres IMF en ont tiré pour elles-mêmes et leurs clients (IFC a également dressé une liste similaire) :

  1. Gain d’échelle. Les canaux numériques peuvent permettre aux IMF d’atteindre un plus grand nombre de clients avec le même nombre d’employés. Un avantage important pour toute institution qui cherche à servir plus de clients ou à étendre sa couverture géographique.
  2. Amélioration des décisions d’octroi de crédit. Les données numériques sur les clients peuvent améliorer les études de marché des IMF, la segmentation de la clientèle et le développement des produits. Elles peuvent également être utilisées pour analyser les profils individuels des clients et prendre de meilleures décisions d’octroi de crédit.
  3. Amélioration des produits. Améliorer l’analyse de la clientèle peut permettre de créer de meilleurs produits, plus adaptés. Pour les IMF étudiées, le défi en la matière a été de mieux comprendre les besoins des clients et de créer des produits financiers qui répondent à ces besoins. Des produits améliorés apportent une valeur claire aux clients, et par conséquent un avantage commercial évident à l’IMF.
  4. Gains d’efficacité. Le défi associé à un modèle high-touch (fort taux de contact humain) est celui de la productivité ; il est difficile pour les IMF d’être très productives, du moins en comparaison des opérations reposant sur la technologie. Cette relative inefficacité a des implications sur la rentabilité, l’échelle et la rapidité. Pour relever ce défi, les IMF peuvent chercher à identifier des approches digitales qui allègent les fonctions (par exemple, recourir aux services d’agents bancaires ou à des solutions qui réduisent les tâches redondantes des agents de crédit, comme la signature papier à distance).
  5. Processus d’octroi plus rapide. Les données numériques peuvent être utiles pour automatiser et accélérer les décisions d’octroi de crédit, deux améliorations importantes à la fois pour les IMF et les clients ; elles minimisent le capital inactif pour les IMF, tout en aidant les clients à obtenir un crédit plus rapidement.
  6. Meilleur engagement auprès des clients. Toucher plus de clients n’est pas nécessairement positif si vous ne pouvez pas être réactif à leurs besoins. La digitalisation crée de nouveaux moyens pour les IMF de communiquer avec leurs clients, comme le tchat en direct via une application et les réseaux sociaux. Les clients se sentent ainsi valorisés, ce qui favorise leur fidélisation, elle-même susceptible d’accroître les opportunités d’affaires à un coût réduit pour l’IMF.

Après avoir défini les avantages qu’elles cherchent à tirer de la digitalisation, les IMF doivent identifier des indicateurs qui leur permettront de mesurer les améliorations réelles. Ces indicateurs doivent pouvoir quantifier chaque avantage en termes de retour sur investissement ou sur fonds propres, ou de réduction des coûts, ou une combinaison des deux. Dans ce but, les IMF doivent s’efforcer de fixer des objectifs SMART (spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et définis dans le temps). Les objectifs SMART présentent l’avantage d’avoir une portée bien définie, ce qui accroit les chances de réalisation du projet de digitalisation dans le respect du budget et du calendrier.

Le succès des efforts de digitalisation est souvent miné par des justifications abstraites ou une focalisation sur des avantages indirects. Cette situation peut se produire lorsque la transformation digitale ne vise pas à résoudre une problématique liée à l’activité principale, qui, pour les IMF, est généralement le crédit. Les projets de digitalisation qui se concentrent sur un objet autre que l’activité principale rendent difficile, voire impossible, l’identification rapide des bénéfices attendus. Cela peut arriver par exemple lorsqu’une IMF lance un projet sur mobile et que le centre d’intérêt devient le canal lui-même, au lieu des moyens qu’il fournit pour accroître le portefeuille de crédits (ou réduire le coût des fonds s’il est utilisé pour la mobilisation des dépôts).

Réussir sa transition numérique n’est pas facile, mais les écueils peuvent être évités. La digitalisation des IMF ne se traduit pas nécessairement par des résultats insuffisants pour les clients ou l’entreprise. Ce processus peut être transformateur lorsqu’il cible des objectifs de rentabilité spécifiques et que ses résultats sont mesurés à l’aide d’indicateurs directement en lien avec l’activité principale de l’entreprise.

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